jeudi 30 avril 2009

Énervée au petit déjeuner

Non
Je n'veux pas m'lever
Marre
D'entendre vos cris

Non
J'irai pas bosser
Marre
D'y perdre ma vie

Non
J n'veux rien acheter
Marre
De remplir mon caddie

Pour du pognon, du blé, du pèze
Moi je préfère filer à l'anglaise
Pour de l'oseille, d'la fraîche, d'la tune
Vous m'aurez pas, je pars pour Saturne

Non
J'obéirai pas
Marre
De vos instructions

Non
Je ne plierai pas
Marre
Des ordres à la con

Non
Je n'obtempère pas
Marre
D'être comme en prison

Pour du pognon, du blé, du pèze
Moi je préfère filer à l'anglaise
Pour de l'oseille, d'la fraîche, d'la tune
Vous m'aurez pas, je pars pour Saturne

Oui
Je vais résister
Sûr
Je veux exister

Oui
Moi je sais hurler
Vous
Allez m'écouter

Oui
C'est l'insurrection
C'est
Ma révolution

Pour du printemps, du vent, des songes
J'veux profiter de ce temps qui nous ronge
Pour une chanson, la mer, l'amour
J'vous laisse la clé et salut les vautours !

Berceuse

Je fais le tour de la maison
Je ferme les volets
Et tu t'endors
Là sur le bord
D'un ancien rêve

J'allume une étoile au plafond
Je ferme la fenêtre
Et tu t'enroules
Là dans la houle
De mes pensées

La porte fermée à double tour
La clé sous l'oreiller
Et tu choisis
Pour cette nuit
Où, avec qui ...

Je vais sortir par le jardin
Mais non je n'ai pas peur
Je m'en vais lire
Encore écrire
Et je respire .

mardi 28 avril 2009

Connecting people

Alors là je n'en reviens pas ! ... J'ai mis un compteur hier et aujourd'hui je vois 30 connexions. J'ai dû glisser dans la cinquième dimension ...

lundi 27 avril 2009

Vues d'ici

Quand je suis dans mon bureau, je suis dans mon jardin, le petit, celui qui est au nord de la maison.
Enfin, c'est plutôt le jardin qui entre par la fenêtre du bureau.



A deux mètres de mon écran, sur l'hortensia qui vient d'exploser en vert, il neige les pétales du dernier cerisier à avoir fleuri.
L'autre est déjà en feuilles.







Le pommier d'Himalaya a commencé ses fleurs. Elles font penser aux mini-pommes qui viendront plus tard.






Dans le potager, avec toute cette pluie, attaque en masse des limaces sur les choux, sauf là où j'ai planté de la rue, qui pue.



Avec le vieux tas de bois inutile, j'ai construit un lotissement pour les hérissons.
Bien fait les limaces.



J'aime bien faire un tour au jardin le matin. Même sous la pluie comme aujourd'hui. Et puis le soir aussi.
Le matin ça sent l'air frais de la nuit, et le soir, en toile de fond, le goût de l'herbe qui s'est épandu dans la chaleur de la journée, que la terre redonne, comme un écrin pour tous les parfums.

Rencontres tout contre

Stage de chant avec la Bergère. Solaire.
Au départ un groupe de dix-sept chanteurs, avec de récents découvreurs de la musique trad., je me dis ... non mauvaise pensée.
A l'arrivée super groupe, dans lequel on s'écoute chanter les uns les autres. Pas contre, mais tout contre.
J'aime. Totale éclate.
Groupe bien présent, auquel La Bergère propose de se nourrir de chansons polissonnes et de collectages.
Et voilà qu'elle nous emmène sur son chemin de trad, avec son esprit de trad très communicatif et qu'on la suit avec notre polyphonie mobile.
Et c'est beau.
Nos voix, nos essais, ceux qui se découvrent peu à peu, à nous et à eux-mêmes.
Très émouvant. Planant.
Et puis Dod, un peu casse-ambiance au début, mais très attachant avec cette fragilité qu'on sent derrière le personnage, et qui nous fait à la fin un délire avec une chanson à répondre, à boire, à rire, avec des blondes, des brunes, des rires et des goélands.
Oui, parce que le dimanche, un bal dans les jambes, plus la digestion des repas Brayauds, sur le coup de 16h00, c'est toujours un peu l'extinction des feux avec un gros coup de fatigue qui fait les paupières lourdes, lourdes.
Ne dors pas, je le veux.
Donc Sylvie propose que chacun interprète un choix perso, pour que les autres l'entendent.
J'ai chanté My Space, ça a bien plu, j'étais contente.
Mais surtout, j'aime ça, écouter les voix des autres.
C'est là que Christine (qui chante joli-joli aussi) nous chante un branle lyonnais, de son groupe, Bois sec, avec des paroles de son mari Patrick. Qui fait : " Je saut', je dans', j'ador' la finance, je lis le Figaron, filant ma quenouillette, comptant mes actions". MDR

Bref, j'étais partie avec un arc-en-ciel au fond de ma poche, et maintenant il est dans ma tête.
Super cool.




Les liens, pour aller voir tous ces gens :
- la Bergère, c'est là : http://www.labergere.net/
- Dod et Flying Tractors -les ambassadeurs du rock agricole en France et dans toute la galaxie- c'est là : http://www.flying-tractors.com/
- Christine et l'humour super dansant de Bois Sec, c'est là : http://boissec.org/
- Les Brayauds : pour ne pas rater les Volcaniques en juillet et le stage de bourrées avec André Ricros http://brayauds.free.fr/

La photo vient de là :
http://auvergne-photos.xc63.fr/index.htm

Katmandou Combronde




Alors voilà, on était dans la voiture avec Hilly et Dadou, en route pour le stage des Brayauds.
Vers Saint-Eloy-les-Mines, on voit un type en K-Way orange sous la pluie battante, avec un gros sac à dos, qui fait du stop. Dadou, qui devient vieux parfois je trouve, ne s'arrête pas. Mais comme Dadou est aussi très cool, c'est pour ça que je l'aime, il ne se vexe pas de nos remarques et fait demi-tour.
"- Vous allez où ?
- vers Clermont.
- OK, on vous avance."
Parce que nous on n'allait pas jusqu'à Clermont. Mais ça tombait bien, lui non plus. Il s'arrêtait juste avant St Bonnet, à Combronde.
Donc chassé-poussé des sacs dans le coffre, re-demi-tour et nous voilà repartis.
C'était un type très beau, la peau mate, tout blond avec des yeux bleus d'enfant, une petite barbiche de philosophe, blonde aussi, et les petites lunettes rondes cerclées de métal, comme Gandhi, pour aller avec.
On continue à dire des bêtises et puis on lui demande d'où il vient : de Bourges. Mais à pied ... En fait, juste avant il a déjà fait Paris-Bourges ... à pied, en cinq jours. Trop fort ! Évidemment sous la pluie un peu fraîche (et vraiment très mouillée) d'avril, il s'est résolu à finir en stop.
Re-bêtises, surtout d'Hilly, particulièrement en veine ésotérique ce jour-là, et on lui demande ce qu'il fait.
Bien sûr, il est enseignant.
Mais à Katmandou. De plus en plus fort ! Il enseigne le français à l'Alliance française, essentiellement à des adultes qui travaillent dans le tourisme.
En fait, il est allé au Népal, il y a rencontré l'amour de sa vie, une népalaise, il s'est marié avec elle et il est resté là-bas. C'est beau.
Et elle ? Elle est institutrice, dans une petite école népalaise, mais elle doit reprendre ses études pour obtenir un diplôme officiel.
On est arrivé à Combronde.
On a oublié de lui demandé son nom.
Mais on lui a dit où envoyer un mail s'il en avait envie, avec des photos.




Les photos viennent de là :
http://www.alovelyworld.com/webnepal/
et là :
http://www.auvergne-centrefrance.com/

jeudi 23 avril 2009

Keskispass ?

Chère Coline,

Ne me demande surtout pas comment je vais. Je me sens beurk comme jamais. Comme si rien ne s'était passé.
J'ai ce nœud là, au plexus, qui m'empêche de respirer, de dormir, de sourire et même de pleurer parce qu'il se coince au fond de ma gorge ; ça fait presque comme quand on est amoureux, mais ce presque fait une énorme différence car ce n'est pas du tout agréable.
Je n'ai envie de rien.
Je voudrais rester là, roulée en boule, un petit moment et puis que les choses en soient changées.
Mais même cette implosion de verts juste au bord de ma fenêtre, sous la toile du ciel tendue toute bleue, même les abeilles qui caressent le blanc du cerisier, même le lilas qui dresse ses premiers bouquets vers l'azur, rien n'y fait.
Nous allons donc devoir nous séparer Coline, et crois-moi, tu me manqueras beaucoup. J'aimais ces rendez-vous avec tes mots qui apaisaient le cours de mes pensées même les plus cruelles. T'avoir trouvée fut un grand soulagement. Mais maintenant que je te connais vraiment, ce sera peut-être encore plus difficile de continuer.
J'espère que tu m'attendras jusqu'à la prochaine parenthèse et que je saurais tenir jusque là.
Tu es la meilleure partie de moi. Ne t'en va pas trop loin.
Ne m'abandonne pas.


Nicole

samedi 11 avril 2009

Les mains

Au commencement il y eut les mains.
Celles qui t'extirpèrent du ventre de ta mère, celles qui coupèrent le lien qui te reliait à elle.
A la toute fin, il y aura aussi les mains.
Celles qui fermeront le linceul, et celles qui te laisseront glisser dans la fosse.
Et entre ces mains ... Toute ta vie...

vendredi 10 avril 2009

Peaux d'anges (4)

Je viens le voir chaque jour maintenant. Son état se dégrade rapidement et quand je suis arrivée ce soir, il m'a accueillie avec ce terrible sourire livide sur son visage cireux. J'ai eu un peu peur, parce qu'on ne s'est pas encore tout dit. Mais finalement on n'a presque pas eu besoin de parler. Je me suis allongée à côté de lui, en fermant les yeux. Tout d'un coup j'ai senti la caresse d'une plume sur mon visage. C'était sa main. Il en a exploré tous les contours, avant de descendre un peu plus bas, le long du cou, et de mes épaules dénudées par la robe d'été. Il a dit « c'est doux, c'est chaud », et puis il s'est affaissé en arrière. C'est un cadeau qui a dû lui coûter une énergie folle.
Je me sentais bien, même avec cette odeur de mort qu'on sent rôder. Je suis restée avec lui jusqu'à ce qu'il s'endorme. En sortant j'ai croisé l'infirmière du fauteuil. Elle m'a fait un petit signe de tête, avant de continuer son chemin, puis elle s'est ravisée :
« - Vous êtes de sa famille ?
- Non. Une amie seulement.
- Mais vous venez le voir chaque jour. Vous êtes la seule. Il est beaucoup plus serein quand il vous a vu. Est-ce que vous resterez jusqu'au bout ?
- Oui. »
Elle a eu l'air soulagé.

***

Ce matin, quand le médecin est passé, il est resté silencieux presque tout le temps. Il essayait d'être comme d'habitude, sans être très convaincant. Puis je l'ai entendu discuter à voix basse avec l'infirmière. Je n'ai plus même la force de parler maintenant, mais j'ai puisé dans mes dernières ressources pour dire non. Non, je ne veux pas que vous appeliez mes parents. Et puis dites-moi maintenant, je veux savoir, j'ai le droit de savoir.
Je suis retombé sur l'oreiller, épuisé. Il s'est rapproché, en gardant un peu de distance malgré tout et en évitant mon regard. Il y a des médecins qui auraient mieux fait d'être garagistes, ils ne sont vraiment pas à l'aise avec les têtes qui surplombent inévitablement les corps.
«  - Vous n'en avez plus que pour quelques heures. Ce sera bientôt terminé. Vous voulez appeler quelqu'un en particulier ? »
J'ai fait non de la tête. J'avais le moral en berne.
Maintenant je me sens gagné par la colère, une vague d'impuissance qui me submerge. Non, pas maintenant, c'est trop tôt. Je ne veux pas. Qui me pleurera ?
Et puis en même temps, je me sens comme quand les vacances se terminent et que, puisqu'on ne peut pas rester, on voudrait être rentré tout de suite à la maison au lieu de profiter tranquillement de chaque changement de paysage pendant le voyage du retour.
Heureusement la voilà, et la chambre s'éclaire de sa lumière.
J'aime quand elle me berce.
C'était en Guadeloupe, pendant le dernier voyage avec Étienne, quand il ne se savait pas encore qu'il était malade. Nous avons fait de la plongée sous-marine. Pendant une sortie en mer, la houle s'est levée, noyant l'océan sous le gris et l'écume. Mais c'était la fin des vacances et nous voulions profiter de chaque instant, nous avons plongé quand même. À la surface c'était le chaos, l'eau nous giflait, un type près de moi a même vomi dans son détendeur, et je jure que je n'ai jamais palmé aussi vite de toute ma vie.
Mais une fois au fond, ce fut un enchantement. Ça tanguait juste assez pour nous sentir dodeliner agréablement et j'ai pensé que ça avait dû être comme ça dans le ventre de ma mère.
Quand elle me berce j'ai le même petit frisson. Je me sens touché.
Touché par sa voix aussi et la musique de ses mots. Quand elle me dit qu'elle est heureuse d'être venue s'asseoir sur ce banc, que je lui ai apporté en quelques heures des bonnes ondes pour toute sa vie. Elle me dit qu'elle m'aime et que, quand on a été vraiment ensemble, on ne se quitte jamais vraiment. Elle me dit toute sa gratitude, pour la confiance et pour les rires. Et aussi que je peux partir maintenant, parce que toujours il y aura quelqu'un pour se souvenir de ce qu'il y avait de bon en moi, même si elle sera triste bien sûr. Qu'il n'est plus nécessaire de continuer à souffrir, parce qu'elle se sent libre grâce à moi.
C'est vrai que je n'ai plus mal. Je ferme les yeux sur le sourire d'Étienne.

***

Et parce qu'ils avaient été touchés, parce qu'ils se sentaient aimés, ils basculèrent du bon côté.
Ils étaient en sécurité, il leur suffit de se laisser glisser.

Peaux d'anges (3)

« - C'est comme ça que tu as été contaminé ? 
- Peut-être, je ne sais pas. J'ai aussi eu un accident de voiture assez grave à la suite duquel j'ai reçu une transfusion. »
Aujourd'hui, elle est assise tout près de lui, le dos bien calé. Ils se sont retrouvés là un peu par hasard. Elle s'était installée, comme d'habitude et il est arrivé, en fauteuil roulant, poussé par une infirmière qui avait l'air de trouver cette sortie très peu raisonnable.
« - Je vous ai vue depuis ma fenêtre. Je crois que je vous attendais. Ça fait plusieurs jours en fait que je vous attends. »
Il a absolument tenu à quitter le fauteuil et à venir s'asseoir auprès d'elle. En lui souriant, elle s'est installée plus confortablement et s'est approchée. Ils ont repris leur conversation comme si de rien n'était, là où ils en étaient restés la première fois.
Elle s'est d'abord racontée, il l'a écoutée sans juger. Il la regardait, avec ses yeux fiévreux qui lui dévoraient le visage, et quand c'était difficile, que les mots s'étranglaient un peu, il posait sa main sur la sienne et elle pouvait poursuivre.
Maintenant, elle penche la tête vers lui, pour mieux l'entendre, parce que sa voix est si faible.
« - Mais l'amour alors, le vrai, tu ne l'as jamais rencontré ?
- Si. Et c'était un coup de foudre en plus. Un jour, que j'assistais à une conférence à l'Unesco il y a un type qui est venu faire un exposé sur la situation économique en Amérique du Sud. Il était beau, brillant, avec une sorte d'assurance tranquille qui lui donnait un air conquérant. Tout le contraire de moi. À un moment, son regard a croisé le mien et je me suis senti troublé comme jamais. Toute la journée qu'a duré le symposium nous nous sommes approchés, éloignés, frôlés, sans nous parler une seule fois. J'ai trouvé que c'était le comble de la sensualité. »
Il reprend son souffle.
« - Le soir, il est parti sans se retourner. Je suis resté là, anéanti, frustré, au bord des larmes, en pensant que je m'étais trompé. J'ai terminé la soirée dans un de ces bars de la rue Sainte Anne, derrière l'Opéra, à me saouler et à me faire draguer. Comme la petite boule au fond de ma gorge ne partait toujours pas, j'ai fini par accepter les avances du plus insistant, un vieux beau sur le retour dont je n'ai pas retenu le nom. J'étais vraiment en vrac parce que je l'ai ramené chez moi. C'était un truc que je ne faisais jamais normalement. Pour les coups d'une nuit je préférais pouvoir me sauver en douce au petit matin plutôt que d'affronter le regard de quelqu'un dont je ne reconnaissais même pas le visage. Là, je ne sais pas ce qui m'a pris. »
Il parle tout bas maintenant, sa voix n'est plus qu'un murmure.
« - Toujours est-il qu'à l'aube, je suis réveillé par le couinement insistant de la sonnette. Je vais ouvrir, la tête dans le sac, et je le vois là, et je prends son sourire en plein cœur, et il me tend les croissants et il me dit : « Moi c'est thé noir, sans sucre. »
On s'installe dans la cuisine, il s'assoit, je fais chauffer l'eau. Ça me paraît tout naturel qu'il soit là, à prendre son petit déjeuner avec moi. On n'a pas besoin de mot. Cette première fois là, c'est un de mes plus précieux souvenirs.
- Et l'autre ? Il était toujours là ?
Oui, mais je l'avais complètement oublié. J'ai dû avoir l'air sincèrement surpris quand il est apparu dans l'encadrement de la porte, un peu pathétique avec sa moquette pectorale grisonnante et ses cheveux en bataille.
- Ça s'est terminé comment ?
- Comme ça ! Étienne était de la race des seigneurs. En voyant mon regard effaré, il s'est retourné, lui a souri gentiment, puis il s'est levé, sans rien dire, et a fermé tranquillement la porte. Et c'est comme s'il la fermait sur toutes ces années de rencontres à la petite semaine et de sexe sans amour.
L'après-midi nous sommes allés acheter un nouveau lit. Il n'est plus jamais reparti. Nous nous sommes aimés... Je ne peux même pas t'expliquer ... C'était un bonheur sans nuage.
- Et tes parents ?
- Ah oui, quand même, il y avait mes parents. Je suis sûr qu'ils savaient, mais ils ont toujours fait comme si Étienne était mon colocataire. Sa famille à lui était au courant. C'était une famille unie et aimante, je me sentais bien avec eux, nous étions très proches.
Et puis nous avons eu envie d'adopter un enfant. Nous faisions des projets. Je me disais qu'il était temps de mettre cartes sur table avec papa et maman.
- Et c'est là qu'il est tombé malade....
- Je suis resté avec lui jusqu'au bout. Je lui tenu la main tout le temps, jusqu'à la dernière minute. Il ne voulait pas que je le vois dans cet état. Mais je n'ai pas cédé. Après c'est comme un tunnel tout noir et sans fin, avec ce manque, toujours. Le manque de lui, de son sourire, de ses lèvres dans mon cou, de ses bras surtout. Plus personne ne m'a touché depuis son départ. Je veux dire touché vraiment, tu vois ? »
Alors elle s'approche encore plus près, passe un bras autour de ses épaules, et de l'autre l'étreint tendrement. Il se blottit contre sa poitrine, dans son odeur qui lui rappelle le parfum de la vanille. Ils restent ainsi, embrassés, longtemps. Et elle sent se rompre la digue, et elle laisse couler des larmes de compassion, pour lui, mais aussi pour elle.
«  - Tu es comme la femme forte de l'Évangile.
- Ah bon ? On parle de ça dans l'Évangile ? »
Il rit de bon cœur.
«  - Non, ce n'est pas « forte » comme toi tu l'entends. C'est son sens premier, véritable. Le contraire de « faible », quoi. Dans l'un des livres de Salomon – Tu sais qui était Salomon ? - une mère conseille son fils sur le choix de son épouse. Et elle continue avec l'éloge de la femme forte. C'est un poème alphabétique : les lettres initiales de chaque verset suivent l'ordre de l'alphabet hébreu. C'est très beau.
- Et elle est comment cette femme forte ?
- Ça dépend des interprétations. Elle est physiquement vaillante et solide c'est sûr, mais elle est aussi sage, avisée et clairvoyante. C'est un pilier sur lequel les autres peuvent s'appuyer.
- C'est plutôt moi qui aurait besoin de soutien.
- Ça ne se voit pas. Pas au début en tout cas.
- Pourtant j'ai mal. Tellement mal que je pense parfois à mourir. Pour en finir avec toute cette douleur. Que ça s'arrête enfin. Une fois j'ai eu envie de sauter de mon septième étage. Heureusement, juste à ce moment, mon chat est venu se frotter contre mes jambes et ça m'a ramenée. Un chat … C'est bête hein ?
- Non, c'est parce qu'il était vivant.
- Peut-être. C'est surtout que je me suis dit qu'il allait rester tout seul.
- Tu vois, tu te sens responsable. C'est important ça. »
Ils sont encore enlacés. Un silence s'installe, pas du tout pesant. Un silence de paix et de chaleur. Un peu machinalement elle a commencé à le bercer, et il aimerait bien s'endormir là, dans ces bras rassurants.
Mais la blouse blanche revient, et se saisit du fauteuil.
«  - Il faut remonter monsieur, il est tard, vous allez prendre froid. »
Elle a parlé à voix basse quand même, pour ne pas les surprendre, un peu émue de les voir comme ça.
« - Tu reviendras me voir ? Tu sais je vais rester ici jusqu'à la fin maintenant.
- Ne dis pas de bêtise. Je reviendrai demain, après mon travail. »

(Eh non, ce n'est pas encore fini...)

jeudi 9 avril 2009

Peaux d'anges (2)

Hier, j'ai vidé mon cœur. Ou plutôt non, j'en ai extirpé toutes les bonnes choses qui y étaient profondément enfouies. C'est à cause d'elle. Elle m'a écouté. Au début j'ai cru que ma vue lui répugnait, mais j'ai vite compris que cette apparente répulsion ne me concernait pas. Quand elle s'est tournée vers moi, j'ai senti qu'elle lisait en moi et moi je voyais aussi toute cette détresse dans ses yeux sombres. Sur ce banc, devant la fontaine, je n'ai pas vu le temps passer. Enfin, je veux dire le temps de l'après-midi parce qu'en quelques heures c'est une bonne partie ma vie qui a défilé dans mes paroles. La bonne partie.

Quand le soleil a commencé à s'enfuir, j'ai dû m'appuyer sur elle pour remonter jusqu'à ma chambre. Elle avait l'air forte, solide, et ce contact m'a fait du bien. Je sentais la chaleur de son bras contre ma peau glacée et quand je me suis couché, elle m'a bordé comme maman quand j'étais petit. Ensuite, elle a eu ce geste incroyable : elle a pris mes mains entre les siennes. Je me suis abandonné à cette chaleur et en fermant les yeux, j'ai revu le sourire d'Étienne, son sourire éclatant d'avant qu'il soit malade. J'ai laissé cette petite fenêtre ouverte dans mes souvenirs pour trouver le sommeil qui me manquait depuis si longtemps.

Ce matin, le médecin a accepté de me laisser rentrer chez moi avec toute une panoplie de nouvelles molécules... Au point ou j'en suis, j'aime mieux me bourrer de petites pilules à la maison que de compter ici les heures qui passent vides de tout sens. Mais j'ai bien compris qu'il me faudra revenir et que la prochaine fois sera aussi la dernière.
J'ai peur.
Je ne suis pas prêt.

***

Je ne me rappelle pas de la première fois.
Pourtant il y a forcément eu une première fois.
Comment ça m'est venu, je ne sais pas non plus. J'ai le vague souvenir d'un article, dans un magazine féminin, qui expliquait que toutes les mannequins font ça pour garder la ligne.
Ce qui est sûr c'est que maintenant que le pli est pris, je tourne en boucle. Je descends à la supérette en bas de l'immeuble. J'entasse dans mon panier les mousses au chocolat, les petits sablés, les barres chocolatées, les fruits secs.
Parfois j'ai terriblement honte. Il n'y a que deux caissières, elles ont forcément repéré mes petites habitudes. Quand je les vois rire, je suis sûre que c'est de moi. Alors pendant quelque temps je marche un peu plus loin, jusqu'à la prochaine enseigne. Ou je fais des provisions à la pâtisserie du boulevard. Je retrouve la supérette, contrainte et forcée, quand je suis dans l'urgence.
Après avoir fait le plein, je remonte dans mon studio. J'ingurgite le tout. Je me regarde en train de m'empiffrer, un peu détachée. Je me vois faire, comme si ce n'était pas moi. Je n'éprouve jamais aucune sensation de satiété. Juste, à un moment, je me sens prête à déborder. Je rejoins les toilettes, je m'attache les cheveux, hop deux doigts au fond de la gorge et ça vient tout seul.
J'ai soif. Je bois. Je nettoie tout. J'aère.
Et puis je recommence.
Jusqu'à ce que je n'en puisse plus. Je reste là, comme exsangue, roulée en boule sur le lit. Et je m'endors. Quand je me réveille, je suis de nouveau moi.
Jusqu'à la prochaine fois.
C'est insupportable.
C'est un peu comme quand nous faisons l'amour. Quelle expression idiote ! Il n'y a aucun amour là-dedans. Quand on s'est rencontrés, il était sympa, mais moi j'avais quelqu'un d'autre en tête. Quelqu'un que j'aimais profondément, tout en sachant qu'il ne m'apporterait ni sécurité, ni fidélité.
Et lui, il était là avec ses fleurs, ses restos à deux balles, son air de chien battu. Je voyais bien qu'il me désirait. Mais j'ai fini par le lui dire que je ne l'aimais pas, que mon cœur, mon esprit, mon corps, étaient tout entiers à un autre. Je me disais qu'on en resterait là. Voilà qu'il s'est mis à pleurer, et éploré, à m'implorer avant de me menacer de se jeter par la fenêtre.
J'avais envie d'ouvrir le battant et de lui crier « saute ! ». Je n'ai pas hésité longtemps : d'un côté l'aventure, la fantaisie, la passion et l'insécurité. De l'autre un type à mes pieds sans pudeur, ni retenue, sans amour-propre, mais avec un solide contrat de travail dont il me vantait sans cesse les mérites rémunérateurs. Je voulais reprendre mes études, j'avais besoin d'un toit au-dessus de ma tête. J'ai dit oui.

Erreur fatale ! Depuis ce moment je fais semblant, partout, tout le temps. Je me sens laide, je me sens dégoûtante. En secret, je me conforme à ces sensations.
Si je pouvais, sous les caresses d'un amant attentif et présent, sentir les contours de mon corps, autant que ceux de mon âme peut-être que tout serait différent. Mais je ne suis qu'objet de désir pour lui et d'abjection pour moi, sans pouvoir, jamais, le dire à personne. Je nous regarde, j'ai honte, j'ai mal, alors je fais comme si ce n'était pas moi. Et je pense à l'autre.
Ça aussi c'est insupportable.

***

Je me rappelle très bien de la première fois.
C'est un souvenir un peu étrange, mais joyeux, qui me fait sourire chaque fois qu'il me revient.
C'était un dimanche soir, à l'internat. Je rentrais le dimanche soir parce que j'habitais trop loin pour arriver à l'heure le lundi matin. Alors je revenais une nuit plus tôt et j'en partais une nuit plus tard. Une demi-journée de transports en commun à chaque fois, pour passer d'une triste banlieue à une autre. Et chaque fois je me demandais si ces aller-retour étaient bien utiles, surtout pour ce que j'avais d'agréable à faire à la maison.

Un dimanche soir donc, j'étais allongé sur mon lit, dans la pénombre, à ressasser toutes sortes d'idées plus ou moins noires, quand la porte s'est ouverte brusquement. C'était le petit rouquin qui était arrivé aux dernières vacances et que tout le monde appelait encore le nouveau. Il s'est approché de moi, sans rien dire. J'étais tellement surpris que je n'ai pas bougé, même quand il a penché sa tête et qu'il m'a embrassé.
Ce fut LA révélation. Alors que tous mes copains de classe se vantaient à tout bout de champ de leurs conquêtes multiples, officieuses ou officielles, sérieuses ou libertines, je restai assez détaché de toutes ces confidences initiatiques plus ou moins fantaisistes. En revanche je m'étais senti, sans vouloir me l'avouer, plus d'une fois troublé par la vue d'un de mes camarades rejoignant la douche en caleçon. Et sur les photos pleine page des magazines d'ados, ce n'étaient jamais les cuisses des chanteuses que je caressai, irrésistiblement attiré que j'étais par les clichés des torses imberbes de jeunes premiers, boostés aux céréales, et harnachés à leur appareil de gonflette favori, le muscle luisant en pleine action.
C'était du reste devant ces images glacées que j'avais connu mes premiers émois solitaires. Je n'en avais jamais parlé à personne. J'avais en effet lu dans une revue très sérieuse, et apparemment bien informée, que le temps de l'adolescence étant celui de la construction de la personnalité, il est bien normal qu'il soit aussi celui des expériences plus ou moins insolites. Je pensais donc que ça allait passer avec le temps jusqu'à ce que mon camarade du dimanche soir pose ses lèvres sur les miennes, m'enflammant instantanément le bas-ventre d'une brûlure délicieuse.

Il m'avait reconnu comme son alter ego mais il su faire durer l'attente et donc le plaisir. Les semaines passèrent à réviser, tout en explorant les recoins sombres, à nous retrouver furtivement dans le parc, pour m'initier à ce nouveau langage et construire jour après jour un répertoire de caresses aussi inédites qu'excitantes. Ce ne fut que la semaine précédant les résultats du bac que, dans la moiteur d'un mois de juin étouffant, je m'abandonnai complètement pour aller jusqu'au bout, sans plus nourrir aucun doute quant à la nature de mes penchants naturels. Et ce fut très bon.

J'ai gardé de ce garçon un souvenir tendre et ému, même si, une fois le bac en poche, je n'ai plus jamais entendu parler de lui sans que cela me fasse souffrir le moins du monde. Il m'avait révélé à moi-même, mais je n'étais pas amoureux de lui. On peut dire cependant que cette première relation est assez représentative de ce que fut ma vie sentimentale les années suivantes : des rencontres, du désir, du plaisir, le tout en cachette, car je vivais encore chez mes parents, qui auraient préféré crever plutôt que de savoir la vérité. Mais aucun attachement. C'était le temps des découvertes, de la liberté et de l'insouciance. De la solitude aussi.

(encore à suivre...)

mercredi 8 avril 2009

Peaux d'anges (1)

L'hôpital s'appelle l'Hôtel-Dieu. Drôle de nom pour un hôpital. J'ai toujours trouvé que c'était un nom étrange. Je croyais qu'on ne rencontrait Dieu qu'à l'autel. Mais c'est vrai qu'il est au pied de Notre-Dame, on y entre comme dans le giron de la Vierge.
Dans le ventre de cet hôpital, il y a une cour carrée, les vestiges néanmoins entretenus d'un jardin médiéval. J'aime bien me dire qu'autrefois on y cultivait les simples pour soigner les humbles.
Dans la cour jardin, il y a une petite fontaine et des bancs bleus. Je m'y assois en sortant de la consultation.
Une fois par mois, je viens là, et j'attends. J'attends de pouvoir me reconnaître. J'attends de savoir, si mon corps enfin va finir par accepter de me ressembler.

Un jour, en arrivant à l'hôpital, au moment de pousser la porte vitrée, j'ai vu une grosse dame qui avait la main sur la poignée. Quand la dame m'a vue son sourire s'est éteint. Et moi, j'ai saisi l'espace d'un instant, l'éclair de tristesse dans son regard, puis la porte s'est ouverte et l'hologramme s'est effacé.
Je me suis souvenue l'avoir déjà vue avant. Une fin d'après-midi d'hiver, je me pressai avec la foule des curieux sur les petits tréteaux devant les vitrines d'un grand magasin parisien en habits de fêtes, et j'ai vu le reflet de la dame qui me regardait avec un air interrogateur. Ça m'a tordu le ventre, en y repensant j'en ai encore la chair de poule.

Aujourd'hui, quand je suis arrivée à la consultation, dans la pâle et froide lueur du petit matin, il faisait encore trop sombre pour que quiconque puisse attendre derrière la porte.
Quand je suis redescendue, depuis l'escalier de la galerie, j'ai vu qu'un rayon de soleil oblique se noyait dans l'eau de la fontaine. J'ai eu envie d'aller m'asseoir sur le banc.
Mais il y avait déjà quelqu'un.

***

L'hôpital s'appelle l'Hôtel-Dieu. Drôle de nom pour un hôtel. J'ai toujours trouvé que c'était un nom étrange. J'y passe plusieurs nuits par mois pourtant. Quand une maladie rare s'invite inopportunément. Quand le taux de virus augmente dans mon sang. Quand même la morphine n'apaise plus mes tourments.

Mes parents sont venus hier, mais on a si peu de choses à se dire. Ou alors on ne sait pas comment les dire. Mon père a vieilli, c'est sûr. Il porte ma maladie comme une honte personnelle. Maman a pleuré. Elle regardait fixement mes mains, la peau translucide comme un voile prêt à se rompre, tendue sur le bleu des veines et la saillie des phalanges, et elle a éclaté en sanglots. J'aurais voulu la consoler, mais cette fois je n'en ai pas eu la force. Tout l'après-midi j'ai attendu qu'ils s'en aillent. Tout l'après-midi j'ai attendu qu'elle me touche, que sa main effleure ma joue comme quand j'étais petit, qu'elle me prenne dans ses bras, pour pouvoir me blottir tout contre elle. Mais il y a déjà longtemps qu'elle ne s'approche plus de moi.
Avant tout ça, je ne savais pas qu'une mère pouvait être aussi cruelle, que l'amour maternel était moins puissant que la peur. Des contes qu'elle me lisait lorsque j'étais enfant, j'avais retenu qu'une mère se bat bec et ongles pour défendre ses petits. Mais de toute cette énergie, maman ne sait qu'alimenter sa terreur.

Aujourd'hui je n'attends personne. Si peu de gens viennent me voir. Au début il y a eu la famille d'Étienne, puis les visites se sont espacées, à la maison comme à l'hôpital. Je ne leur en veux pas, je sais que l'état dans lequel je suis ravive chez eux des souvenirs trop douloureux. Les derniers temps, même avec tout l'amour que je lui portais, ou justement à cause de cet amour, il m'était à moi aussi, très pénible de venir le voir.
Et puis les autres ont leur vie, qui coule comme le sable entre les doigts. Ou alors ils sont déjà morts.
Mais je me sens un peu mieux. Je me sens même bien assis là, dans la chaleur du soleil, les yeux éblouis de la lumière dorée qui inonde la fontaine.

***

L'hôpital s'appelle l'Hôtel-Dieu. C'est un hôpital reconstruit au XIX siècle sur un modèle hygiéniste. Les longues galeries forment un rectangle et enserrent une cour. Dans la cour il y a un jardin et le long du jardin il y a nous, les bancs.
On nous a repeint en bleu : le bleu du ciel, le symbole de la maternité et la couleur de l'assistance publique.
Je connais chaque histoire de chaque personne qui vient s'asseoir sur mes travées. Ils ne le savent pas bien sûr, mais c'est comme s'ils déposaient leur fardeau près d'eux et le laissaient en partant. Voilà pourquoi, quand ils me quittent, ils se sentent plus léger.

Même elle dont le cœur et le corps sont si lourds. Elle s'assoit doucement, un peu au bord, elle ne se laisse jamais aller complètement, comme si elle craignait de ne pas pouvoir se relever. Je ne suis pourtant pas un de ces fauteuils bas qu'on trouve dans certaines salles d'attente un peu chics et dont on ne peut pas s'extirper sans une disgracieuse contorsion. J'ai du répondant, je sais soutenir et retenir qui se confie à moi.

Mais aujourd'hui j'ai accueilli une autre âme avant la sienne. Une âme dont le souffle de vie est si ténu que je sens à peine la tiédeur de ses paumes posées sur moi. Un corps si frêle qu'il n'occupe qu'une toute petite partie de mon espace. Il reste encore largement assez de place pour elle. Va-t-elle s'y réfugier ? Choisir un autre banc ? C'est qu'elle me prend toujours, moi.
Elle hésite pourtant.
« -Vous voulez vous asseoir ? »
Elle l'a regardé sans rien dire. Elle n'a pas répondu tout de suite à l'invitation.
Je me suis senti vibrer quand il a tapoté le banc avec le plat de sa main osseuse :
« - Venez, je ne prends pas beaucoup de place ! ... »
Elle s'est assise au bout du bout du banc.
« - Je ne suis pas contagieux vous savez. Enfin, pas comme ça en tout cas... »
A la tension de son corps, je percevais son embarras.
« - Ce n'est pas vous, c'est moi. 
- Ah ? Vous êtes contagieuse ?
- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire.
- Vous vouliez dire quoi alors ?
- Je n'aime pas m'asseoir à côté de quelqu'un. J'ai toujours l'impression d'occuper trop d'espace.
- D'accord. Mais vous n'êtes pas obligée de me tourner le dos quand même. »
J'ai senti qu'elle se détendait un peu. Elle s'est tournée vers lui :
« -De quoi voulez-vous parler ?
- Je ne sais pas, de tout, de rien. J'ai besoin de parler à quelqu'un qui n'ait l'air ni apitoyé, ni dégoûté en me regardant, et qui ne porte pas de blouse blanche non plus. Vous aimez la musique ?
- Oui, beaucoup.
- Moi aussi. Je jouais du saxo dans un groupe de jazz. Avant.
- Le jazz ce n'est pas trop ma tasse de thé...
- C'est pas un problème. Et vous, vous pratiquez un instrument ?
- Malheureusement non. J'aurais adoré jouer du piano. Mais mes parents n'avaient pas les moyens. Je me souviens, quand j'étais petite, chaque jeudi j'accompagnais une copine de classe à son cours, chez une dame qui avait un grand jardin. Ça me changeait de ma cité. Ma copine n'aimait pas y aller, c'étaient ses parents qui l'y obligeaient. Quelle idiote, elle ne se rendait pas compte de la chance qu'elle avait.
- Ben dis donc, pour quelqu'un qui n'avait pas envie de parler... »
Jusqu'à ce jour, je n'avais jamais entendu le son de sa voix.

***

Il a d'abord tourné vers moi une figure émaciée, d'un gris de fer presque bleuté, avec un sourire immense qui lui barrait le visage comme une cicatrice. J'ai eu un petit mouvement de recul, que j'ai immédiatement regretté quand mon regard s'est trouvé englouti dans le lac de ses yeux et que j'ai vu. Derrière le sourire, j'ai lu la supplication, la détresse, comme une prière.
Sa maigreur cachectique lui faisait une silhouette gracile, comme s'il investissait le dernier souffle de son énergie dans la tenue de son maintien. C'est cette allure élégante qui m'a captivée je crois.
Je me suis posée à l'autre extrémité du banc, un peu gênée, resserrée sur mon sac et mes jambes.
C'est lui qui a entamé la conversation. Que faire ? Que dire ? Il avait envie de s'approcher, moi pas. Il avait envie de parler...
Il y avait quelque chose dans sa voix fatiguée, qui m'a empêchée de l'envoyer promener. Quelque chose d'humain, de fragile et de fort à la fois, qui m'a attirée comme un aimant. C'est sorti tout seul, je lui ai répondu.
Puis, quand il me l'a demandé, je me suis retournée pour lui faire face, en m'immergeant de nouveau dans l'océan de son regard.
Et c'est cette étendue d'eau claire, sans arrière-pensée, qui a tout emporté. Mes peurs, mon amertume, le barrage de mes angoisses, tout s'est simplement évacué sous ce flot. J'ai éprouvé de la gratitude pour cette insistance libératrice à communiquer et ça m'a fait du bien.
Tout le temps que le soleil s'est baigné dans la fontaine, nous avons évoqué mille petits riens, des souvenirs d'enfance. Il en avait beaucoup lui. Ses mains s'animaient en parlant et ses joues reprenaient un peu de couleur.
Quand la lumière a commencé à échapper à l'eau, il a frissonné :
«  - J'ai un peu froid. Vous voulez bien m'aider à remonter ? »
Jusqu'à ce moment, nous ne nous étions pas approchés l'un de l'autre. Mais là, j'ai bien vu qu'il lui faudrait un bras sur lequel s'appuyer, pour se relever déjà, puis pour marcher et affronter l'escalier.
Il a refusé de prendre l'ascenseur pour quelques marches, mais il avait le souffle court. Alors nous sommes remontés jusqu'à sa chambre, bras dessus, bras dessous, en silence. Dans ce silence, je l'ai aidé à se coucher, et puis, je ne sais pas pourquoi, je suis restée là, un petit moment, avec ses mains glacées dans les miennes. Quand j'ai de nouveau senti un peu de chaleur, je les ai doucement reposées sur le drap blanc. Il avait fermé les yeux, il souriait, paisible. Je suis sortie sur la pointe des pieds en refermant délicatement la porte.
En repartant sur le boulevard, la devanture d'Haagen Das m'a interpelée, comme d'habitude. Je me suis arrêtée un moment devant la vitrine, j'ai vu la dame qui me souriait. Mais je ne suis pas entrée. J'ai continué mon chemin sans me retourner. C'était comme s'il m'avait communiqué un peu de sa légèreté.

***

(La suite au prochain post...)

jeudi 2 avril 2009

My space / La cinquième dimension

J'ai un ami peu ordinaire
Qui vit dans un autre univers
Que moi
En orbite géostationnaire
Quand il éclaire de sa lumière
Je vois

Écoutez-tous petits et grands
L'histoire d'une nouvelle émotion
Non ça ne vient pas de votre écran
C'est la cinquième dimension

Une connexion involontaire
Et le passé tombe en poussière
Pourquoi ?
La dépression devient solaire
Réunit nos imaginaires
Nos voix

Écoutez-tous petits et grands
La saga d'une aberration
Non ça ne vient pas de votre écran
C'est la cinquième dimension

Dans les échanges épistolaires
D'une relation très singulière
Se noient
La matière et l'antimatière
Une énergie sur-nucléaire
Je crois

Écoutez-tous petits et grands
Le cœur en accélération
Non ça ne vient pas de votre écran
C'est la cinquième dimension

Pas plus corsaire, que diamantaire
Mais ce n'est pas pour nous déplaire
Ma foi
Il n'est pas non plus légionnaire
C'est plutôt le genre fonctionnaire
Courtois

Écoutez-tous petits et grands
Succombez à cette addiction
Non ça ne vient pas de votre écran
C'est la cinquième dimension

A travers les années lumières
Dans notre espace interstellaire
On doit
Abolir la loi gravitaire
Et ne commettre aucun impair
J'envoie

Écoutez-tous petits et grands
Il est né une constellation
Non ça ne vient pas de votre écran
C'est la cinquième dimension







La plupart des images du clip vidéo viennent de là :
http://www.pixheaven.net/

http://dangerecole.blogspot.com/

Coma

Yvette n'était pas le genre de femme à s'en laisser conter. Quand quelque chose ne lui plaisait pas elle le disait. Mais il faut reconnaître que quand ça lui plaisait elle le disait aussi. Ce qui lui attirait à peu près autant d'inimitié que de sympathie. Quand on avait rencontré Yvette on ne l'oubliait jamais, et vu qu'elle manifestait son avis sur tout, tout le monde avait un avis sur Yvette, ce qui n'allait pas toujours sans causer de souci.
Toute petite déjà, à l'école, cette langue bien pendue se révélait source d'ennuis. Les adultes n'aiment pas le regard trop scrutateur des enfants, quand se reflète dans leurs yeux la moindre de leurs failles. Les adultes enseignants encore moins. Mais puisqu'on ne pouvait rien reprocher à Yvette, élève brillante et très précoce, comme on ne disait pas à l'époque, les réprimandes s'exerçaient sur un autre terrain : celui de l'humiliation. Elle gardait donc un souvenir cuisant des bons mots douteux sensés faire rire ses camarades à ses dépens, ainsi que des remarques acerbes, noyant rageusement de rouge la marge de ses cahiers à la moindre tache d'encre échappée de sa plume sergent-major encore mal maîtrisée. Malheureusement, le geste des doigts pas encore finis des petits, ne suit pas toujours comme ils voudraient le cours de leur pensée. Elle dû donc se délier la plume chaque jeudi après-midi, devant la double page intérieure d'un magazine télé réputé, qui se voulait à l'époque objet culturel, et donc déployait sur deux cents lignes hebdomadaires les trésors des châteaux français ou les mœurs des oiseaux exotiques. A quoi sont père, comptable de son état, rajoutait des multiplications et divisions à huit chiffres pour faire bonne mesure. Chacun sait comme les parents sont obsédés par les opérations et l'orthographe, dites encore sciences des ânes.
Heureusement pour elle, Yvette n'avait aucune faiblesse en orthographe. Et tandis qu'elle apprenait, de pleins en déliés, à maîtriser une écriture fluide et régulière, elle se convainquit un peu plus chaque jeudi, de la certitude que les adultes peuvent se montrer notoirement injustes et prêts à toutes les bassesses quand ils se sentent ébranlés. Ce qui, on le comprend sans peine, n'arrêta pas Yvette dans ses jugements, bien au contraire. Cependant il lui fallut se résoudre à devenir adulte elle-même et, l'âge venant, apprendre à se retenir un peu, au moins pour ne pas blesser inutilement des gens qui ne lui avaient rien fait. Ce n'était pas chose facile, loin de là.
Car dès lors qu'Yvette eut appris cette chose étonnante et puissante qu'est le pouvoir du langage, il lui fut presque impossible de ne pas faire usage de l'emprise sur le monde que cela pouvait lui procurer.
Yvette s'intéressait à beaucoup de choses et à beaucoup de gens. Pas longtemps. La vie coulait comme une eau qu'on ne peut pas retenir, parfois claire, parfois turbide, mais jamais stagnante. Elle avait très vite l'impression d'être arrivée au bout, d'une histoire, d'un homme, d'un métier. Elle en changeait donc souvent, car elle voulait voir.
Yvette voulait voir, certes, néanmoins elle voulait aussi être vu. Elle ne pouvait pas expliquer pourquoi, c'était comme ça. Personne ne lui avait parlé de la psychanalyse. Si cela avait été le cas, elle aurait compris qu'on peut se réparer en mettant des mots sur ses maux. Alors elle continua de parler, parce que cela lui était nécessaire et qu'en outre, même avec son débit, ses mots n'arrivaient pas à suivre le flux et le reflux du flot de ses pensées. Elle pouvait tenir un discours à la limite de la vulgarité, ou l'émailler au contraire de termes assez soutenus, voire jargonneux, synthétique à l'extrême usant d'un lexique d'une précision d'orfèvre, ou prolixe et insupportablement verbeux.
Cela dépendait de son humeur, de son interlocuteur, de l'enjeu, mais le plus souvent de ses émotions que, comme ses pensées, elle n'arrivait que très difficilement à canaliser.

C'est alors qu'un beau jour, au volant de sa voiture, elle perdit le contrôle. De sa pensée d'abord, de son véhicule ensuite.
Elle avait roulé toute la nuit, et cherchait un endroit où s'arrêter pour se reposer et prendre un petit déjeuner. C'était l'heure sournoise où le jour se lève alors que la nuit est encore là. Dans cette dangereuse pénombre, que la lumière des phares rend laiteuse, une pensée fulgurante lui traversa l'esprit. Une pensée de douleur et de rage, qui la heurta au plexus, lui coupa le souffle et masqua tout le reste : la route, le virage et le fossé.
Quand elle revint à elle, Yvette ne sentait plus rien, ni ses paupières, ni ses doigts, ni les battements de son cœur, à peine un vague mouvement autour d'elle, des voix étouffées. Mais impossible d'ouvrir les yeux pour voir qui était là. Elle voulut demander qu'on allumât la lumière, il lui fût tout aussi impossible d'ouvrir la bouche. Et elle comprit son drame.
Yvette ne pouvait plus parler, elle était privé de l'usage de tout son corps et donc de celui de la parole. Elle était dans le coma.
Pourtant le torrent de ses pensées n'était pas tari loin de là. A chaque heure des vingt premiers jours du mois que dura son « inconscience » il se faisait rugissant, prêt à entrer en crue, parfois moins impétueux, mais toujours là, d'autant plus indompté qu'elle ne pouvait l'exprimer par le verbe.

Une année, pendant un séjour estival alpin, elle avait loué une chambre bon marché, donnant sur le doron, et dont la fenêtre était heureusement dotée d'excellents doubles vitrages. Car une fois ouverte, le bruit du torrent en contrebas s'engouffrait dans la pièce avec une vigueur telle qu'on avait l'impression d'être emporté. Partout dans le village ce bruit grondait et aucune promenade n'en était épargnée. Ces pensées étaient semblables à ce doron savoyard, tumultueux, vivifiant, mais sans barrage.
C'étaient parfois des pensées de colère et de haine, quand elle se sentait manipulée comme un paquet, objet assujetti aux règles d'hygiène en vigueur dans les hôpitaux, quand elle aurait voulu être sujet d'attention. Tout son corps se rétractait et personne ne le sentait.
Ou encore des pensées de peur et d'effroi, quand elle prenait conscience, dans toute cette inconscience, qu'il lui faudrait choisir entre la vie et la mort pour sortir de son état végétatif. D'un côté la lumière, la musique, les souvenirs, les gens qu'elle aimait et les autres, la parole et la pensée, la souffrance et l'angoisse.
De l'autre le calme, le vide et l'oubli, le torrent enfin silencieux.
C'est au vingt et unième jour, traversée de peur, qu'elle sentit sa présence. Ce fut d'abord sa voix. Il était là pour elle, et il le lui dit. La crainte reflua avec la musique des mots autour de son prénom.
Et pour la première fois depuis très longtemps, elle se sentit touchée. Touchée et vivante. Elle sentait ses mains, douces, présentes mais si respectueuses. Elle pouvait se représenter les bras qui prolongeaient ses mains, le corps tout entier de l'inconnu qui ne parlait plus, ses pieds bien ancrés dans le sol. C'étaient des mains d'amour et de compassion profonde, les deux branches d'un cœur en phase avec le sien. A partir de cet instant, elle attendit les mains chaque jour. Et chaque jour elle apprenait qu'on pouvait endiguer le cours du torrent sans parler, qu'on peut communiquer d'âme à âme sans avoir à en souffrir.
Peu à peu, dans cette présence affective mais jamais intrusive, elle apprit la confiance, mot qu'elle connaissait mais qu'elle n'avait jamais mis en actes. Elle sentait comme un apaisement au grand souffle de sa peau qui respirait enfin. Au long du contact elle sentait qu'ils étaient ensemble, la respiration de l'un calquée sur celle de l'autre, et il n'y avait plus ni un, ni autre. Pas plus qu'il n'y avait de désir, de fusion, ou de crainte. Dans ce sentiment vibrant d'être vraiment ensemble, dans cette humanité profonde, elle commença, enfin, à entrevoir la vérité, sa vérité.
Et parce qu'elle avait été touchée, parce qu'elle se sentait aimée, au trentième jour, elle bascula du bon côté.
Elle était en sécurité, il lui suffit de se laisser glisser.





A Frans Veldman qui a fait naître l'haptonomie et à Hélène Sallez qui me l'a fait découvrir et a sauvé mon âme encore plus que ma vie.