mercredi 13 mai 2009

Débarquation dans le demon du rap *

Si jeune, pas fini, 4 mois pour un délit mineur.
La bougeotte, les yeux au bord des larmes.
- ça ne va pas monsieur ? Vous n'êtes pas bien ?
- Je ne suis pas sorti de la journée.
- Pourquoi n'êtes-vous pas allé en promenade ? Vous pouvez venir dans le groupe suivant.
- C'est le surveillant, il m'a pas dit. Je suis primaire (première condamnation, NDLR) c'est pour ça, je sais rien de toutes ces règles là. Déjà on n'est pas sorti ce matin parce qu'il pleuvait. Même s'il pleut j'ai besoin de prendre l'air.
- Pas grave. Je vais demander au surveillant de vous emmener en promenade, et vous reviendrez ensuite.
- Y va pas vouloir, y m'aime pas.
- Si, si il va vouloir, je vais le lui demander gentiment, ça va marcher, vous verrez.
Je sonne.
Trois fois en une demi-heure.
Heureusement qu'il n'est pas en train de m'étrangler.
On meuble.
Sa famille, quittée à 16 ans, ses études chaque fois interrompues au moment du diplôme, par peur d'échouer, la rue ... sa femme ... son ennui, rien, absolument rien à faire dans sa cellule où il est tout seul.
Il a l'âge d'être mon fils et il est prêt à pleurer.
Je lui prête des BD, je lui conseille la bibliothèque.
Il regarde la porte, il n'y croit pas trop à ce rattrapage de promenade.
- Alors, qu'est-ce que vous attendez de moi pour ces cours de français ?
- Je voudrais écrire.
- ...
- J'écris des chansons.
- Ah, super, bon d'accord on va faire ça.
- Oui, mais ...
- ????
- C'est du rap vous savez (je fais si vieille que ça ?)
- Pas de problème ! Du moment que vous écrivez.
- Oui mais ...
- ???
- Ils ont fouillé ma cellule, ils m'ont pris tous mes textes, et ils m'ont dit que si je recommençais j'irais au mitard.
- Ah ? Et ils parlent de quoi vos textes ?
- Ben de la justice de la police, (il oublie de dire de sexe - hardcord- ) vous voyez ? C'est du rap quoi ...
- Bon ben, je vous donne un cahier, vous écrivez dedans, je le garde ici, comme ça pas d'histoire, on ne pourra pas vous accuser de faire circuler.
- Je pourrai le récupérer en sortant.
- Bien évidemment.
Bruit de clé.
- Vous avez sonné ? (oui trois fois ...)
Mon sourire le plus avenant possible :
- Oui, ce monsieur ne peut pas travailler dans cet état, il faut qu'il sorte. Vous pouvez l'emmener en promenade et le reconduire avec le deuxième groupe ?
Le surveillant, un jeune type sympa et toujours courtois avec moi, a un peu le masque là. Mais il fait contre mauvaise fortune bon cœur, et il y retourne.

.................
Une heure plus tard, le même, aéré, me noircit cinq pages du petit cahier. Ma plus grosse production d'écrit (la seule ?) depuis que je suis là.
Pendant ce temps, syllabes à deux et trois sons avec un autre et masculin/féminin sur l'ordi pour mes deux FLE.
On rit.
On rit souvent pendant ce cours, parce que tout le monde en a bien besoin.
Et j'aime ces petits moments.
Voici venu le temps de la relecture et des corrections.
J'enrichis mon vocabulaire, je ne savais pas qu'il y avait autant de mots pour dire chichon et pétasse.
J'aime bien ce qu'il écrit, ça a du sens, même si c'est violent.
Mais je cale un peu sur la vision de la gente féminine.
- C'est vraiment ce que vous pensez des femmes ?
- Pas du tout, au contraire même.
- Ben alors pourquoi écrivez-vous cela ?
- C'est que si je disais des trucs gentils, ça plairait pas aux gens.
- Moi je n'écris pas des idées que je n'ai pas.
- Oui, mais vous madame, vous, vous ne faites pas du rap.
Et toc ! Bien envoyé ...
Et en plus c'est dit très respectueusement.
Un indice supplémentaire que j'ai atteint la date limite de péremption.

* Débarquement dans le monde (ou démon, au choix) du rap.

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