vendredi 8 mai 2009

Faux lit



Je suis passée près du chantier cette nuit. Tout avait l'air calme mais dans la lueur blême des étoiles il m'a semblé apercevoir une ombre fugitive.
Je me suis approchée et je l'ai vu. Il était penché au-dessus du futur pilier, si absorbé par ce qu'il faisait qu'il ne m'a pas vu arriver. Je me suis approchée encore plus près, manifestement il était en train de couler du béton dans l'un des deux caissons. Il a dû sentir ma présence parce qu'il a brusquement relevé la tête et même dans l'obscurité, j'ai senti son regard croiser le mien.
J'ai compris qu'il savait, parce qu'il n'a rien dit et il a poursuivi son entreprise comme si de rien n'était. J'ai emprunté la petite rampe pour descendre à son niveau, mes talons se sont accrochés dans la grille, j'ai dû ôter mes chaussures pour pouvoir continuer, je me suis penchée. Le béton n'avait pas tout recouvert encore, mais on voyait qu'il avait été soigneusement gâché. Il coulait lisse et régulier et bientôt il a fini par remplir totalement le moule en forme de pavé. Une fois sec, les ouvriers n'auraient plus qu'à empiler et assembler au-dessus de cette assise les pièces qui formeraient le pilier.
Dans le caisson contigu en revanche, la situation était préoccupante. Même bien emballé, on devinait sans peine de quoi il s'agissait à la forme non équivoque.
C'est que, m'étant laissée surprendre, je ne disposais pas de grand-chose sous la main. J'avais donc tout fourré en vitesse dans deux grands sacs poubelle et saucissonné l'ensemble avec du scotch d'emballage. Le produit fini avait le mérite d'être solide et en effet il ne semblait pas avoir souffert des diverses opérations de manutention qui l'avaient conduit jusque là. En revanche il surnageait pitoyablement dans le mélange de mon cru, qui l'avait emprisonné en séchant mais sans pouvoir le retenir dans les profondeurs du caisson.
Je me suis tournée vers lui. Comme s'il avait attendu ce signe il s'est approché et, toujours en silence, il a un peu appuyé. Le bloc a commencé à se fissurer et comme il insistait en appuyant plus fort, la croûte s'est brutalement fendue, puis effondrée, entraînant son fardeau avec elle, comme un amant fougueux dans une ultime étreinte.
Il ne disait toujours rien, mais il est allé chercher le reste de sa propre préparation, l'a lentement coulée dans le caisson. Puis il a soigneusement nettoyé ses outils, tout remis en place, et quand nous sommes remontés, il a éclairé mes pas de la lumière bleue de sa lampe à led. J'ai remis mes chaussures, il a attendu de croiser de nouveau mon regard pour me faire un petit signe de la tête, comme ça avec un air un peu penché. Il m'a tourné le dos, avant de s'enfoncer dans la nuit. J'ai regagné ma voiture, à quelques rues de là, et je suis rentrée. Le lit est toujours aussi petit, mais j'ai très bien dormi.


Voilà, c'est fait, j'ai changé toute ma literie. Il ne reviendra plus maintenant, c'est sûr voilà deux mois qu'il est parti et qu'il n'a donné aucun signe de vie.
J'ai acheté un grand lit indien d'1m60 de large, haut et spacieux, avec un matelas futon en coton. Oui, je sais que c'est pour y dormir seule, mais j'aime mieux.
Le lit à rouleaux tout étriqué qui lui venait de sa mère, je ne le supportais plus. Même avec un matelas neuf, il sentait le vieux. Et puis les draps, les couvertures, franchement, c'est d'un autre âge. J'ai investi dans une immense couette en plumes, dans laquelle je m'enroule égoïstement pour m'immerger dans les rêves enchanteurs qui berçaient mon enfance et que j'avais oubliés.
En fait, on peut dire que tout est parti du lit. Nuit après nuit, j'y étouffais, je me recroquevillais sur le bord, à la limite de basculer dans le vide. Et malgré tout je sentais sa présence dans mon dos, son souffle dans mon cou. Je restais des heures immobiles, sans trouver le sommeil, les yeux grand ouverts dans la pénombre, guettant le moindre changement de rythme dans sa respiration.
Après dix ans d'un mariage long, plat et maussade comme une digue hollandaise, il se croyait toujours obligé de m'honorer partout, tous les jours, tout le temps. N'importe qu'elle épouse en eût été flattée. Mais pour moi c'était l'horreur.
J'aurais dû m'en douter.
Il avait été mon premier vrai flirt. Physiquement assez commun, il savait cependant se montrer charmant et prévenant, et il me troublait c'est vrai. J'ai donc dû être amoureuse de lui. Mais comme je n'avais aucune expérience, quand il m'a embrassée pour la première fois et que j'ai trouvé ça plutôt baveux qu'excitant, je me suis dit que cela devait être normal. J'étais du genre introvertie, je restais donc à l'écart des instructives conversations chuchotées du vestiaire des filles au gymnase.
Quelle erreur ! Au fil des mois, la technique du baiser ne s'est pas améliorée. Au contraire : j'avais l'impression parfois d'être engloutie, parfois d'être récurée à fond. Il semblait très sûr de lui et a fini par s'enhardir en complétant sa succion par une nouveauté : l'imposition des mains.
Alors là, on peut dire que j'ai connu l'apothéose. Découvrant qu'il en avait deux, des mains, il les promenait partout sur mon corps avec une égale application appuyée quelque fut l'endroit. Je ne savais pas trop comment réagir, je le laissais donc m'explorer. Jusqu'au jour ou saisissant l'une des miennes, il l'a brutalement plaquée sur son entrejambe, où j'ai bien senti à travers le velours côtelé qu'il se passait quelque chose. Ne sachant trop que faire, je me suis calquée sur lui, j'ai trituré et malaxé l'affaire en tout sens, et ça devait être la chose à faire en effet puisqu'à mon grand soulagement il a fini par me lâcher, pour exprimer, dans un râle et les yeux révulsés, le sens de sa passion :
« - Ah ! Tu aimes ça petite cochonne ! ».
Enfin, c'est ce que j'ai cru entendre.
Puis il m'a raccompagnée à la maison, une main sur le volant, l'autre sur ma cuisse : j'étais devenue sa propriété.
Longtemps, très longtemps après - nous étions déjà mariés - en emballant des livres pour un déménagement, un classeur du « Chasseur français » m'est tombé des mains laissant échapper un petit traité de sexualité à l'usage des adolescents, qui avait dû être abondamment compulsé à en juger par l'état de la couverture et de la reliure. C'est en le feuilletant que j'ai enfin compris la progressivité de son mode opératoire.
Bref, au rendez-vous suivant, il a soulevé ma robe et glissé ses doigts dans ma culotte. Ce fut aussi intrusif que désagréable, du coup je me suis dépêchée d'en faire autant. J'ai trouvé le contact doux et chaud, c'était la première fois que je touchais le sexe d'un homme. Je n'ai pas eu le loisir d'y songer plus longtemps, il s'est déboutonné en gémissant, j'ai bricolé et de nouveau, cette fois-ci très nettement :
« - Ah ! Tu aimes ça petite cochonne ! »,
avec en plus cette sensation gluante et mouillée sur mes doigts, dont je n'ai su que faire jusqu'à ce qu'il me tende son mouchoir. Mais l'odeur fade est restée, tenace.
Durant tout le temps des fiançailles nous ne sommes guère allés plus loin, si ce n'est que je me suis aperçue qu'en émettant les mêmes râles que lui j'étais débarrassée plus vite.
Pourquoi étions-nous encore ensemble à ce moment de l'histoire ? Parce qu'il était toujours gentil et attentionné, si l'on fait abstraction de sa bouche et de ses mains. Je devenais enfin visible aux yeux des autres filles qui avaient l'air de m'envier cette relation durable, mes parents étaient contents, soulagés de me savoir casée avec un gars bien, qui disposait déjà d'un salaire, d'une voiture et d'un costume trois-pièces pour les grandes occasions. L'inconfort, le trouble associé à l'absence de plaisir, je ne pouvais l'évoquer avec quiconque. Je croyais que tout cela faisait partie de la relation entre un homme et une femme. Personne ne m'en avait jamais parlé et je n'en avais jamais parlé à personne. C'est quelque chose qui doit être bien ancré en nous.
Peut-être aurais-je dû l'aborder le sujet avec lui, lui faire confiance, mais je n'ai pas osé. Je ne savais pas qu'on pouvait parler de ce genre de choses. Mai 68 et la libération de la femme n'étaient pas arrivés jusque dans nos campagnes.
Six mois après nous étions mariés et dans le lit à rouleaux a commencé mon calvaire qui de l'ennui au dégoût, à chaque heure de chaque nuit, a peu à peu usé ma vie.
Il faut que je retourne à la gendarmerie, faire constater la durée de son absence, dont personne à part moi ne s'est inquiété.

Aujourd'hui je ne suis pas allée travailler, merci les RTT ! J'ai attendu les Compagnons d'Emmaüs qui ont emporté tout ce passé dont j'ai fait table rase.
D'abord les tables justement, et en premier celle de la cuisine, où nous prenions nos repas, côte à côte, devant la télévision, pour éviter d'avoir à se parler autant qu'à se regarder. Ce qui me convenait parfaitement.
Cette table était sa complice, je la hais, comme on peut haïr une personne.
Un soir, alors qu'il se préparait pour aller prendre son service de nuit, je me suis mise à chantonner debout près de l'évier, tout en essuyant la vaisselle. Je pensais au livre emprunté à la bibliothèque, que je pourrai lire jusqu'à point d'heure, et au moment délicieux où je plongerai dans un sommeil solitaire et paisible. J'ai ouvert la porte du placard pour ranger les verres et je me suis sentie brusquement happée par les hanches, écrasée contre la table de la cuisine, maintenue par la nuque comme un chat.
De sa cuisse il a forcé le passage, fait place nette avec sa main libre avant de m'embrocher sans autre forme de procès. Quand il a eu terminé, il s'est rebraillé. Bien sûr il n'a pas rangé les verres. À partir de ce jour j'ai toujours fermé la porte de la cuisine avant de faire la vaisselle, pour avoir le temps de l'entendre arriver.
Quant à la lourde table de la salle à manger, elle n'avait que très peu servi : depuis la disparition de sa mère, invitée obligatoire du repas dominical, nous ne recevions jamais personne. Le canapé qu'il était seul à utiliser, les fauteuils où je ne m'asseyais jamais, les trophées de chasse, sa caisse de vidéos qu'il croyait secrètes à l'abri qu'elles étaient dans son atelier, l'armoire de chêne, les torchons brodés, les draps, tout est parti.
Et puis le lit et son secret avec lui.
En les regardant charger le sommier dans la camionnette, j'ai repensé à ce soir-là. J'étais en train de défaire le couvre-lit, il s'était collé à moi, une main plaquée sur mon ventre et l'autre à me pétrir les seins. Il était très excité, sûrement l'effet escompté d'une de ses vidéos clandestines.
Il m'a forcé à m'agenouiller sur le lit, et j'ai senti sa main m'explorer au-delà des limites habituelles, chercher un autre passage. En fait, je n'ai pas compris immédiatement, seulement quand il a essayé de me forcer. Il m'a fait mal, il a insisté, avec son indélicatesse coutumière, encore, et encore. Et là, j'ai dit une chose que je n'avais jamais dite jusqu'à maintenant.
J'ai dit non.
Tout s'est arrêté. La scène s'est suspendue, et j'ai répété, NON, plus fort, plus fermement. Il m'a lâchée, s'est assis sur le lit. Il avait l'air d'un petit garçon pris les doigts dans le pot de confiture. Je me suis sentie soulagée, et même émerveillée par le pouvoir de ce « non ».
Il y a des moments comme ça dans la vie, quand le futur est border-line, quand un mot, un geste, peuvent vous faire basculer d'un côté ou de l'autre du bastingage, et que tout s'en trouve changé. S'il était resté assis, s'il s'était incliné devant le pouvoir de ce non....
Au lieu de ça, il s'est ressaisi, a capturé mes poignets et m'a obligée à m'accroupir devant lui. Je savais pourquoi, je l'avais déjà fait sa « petite gâterie » comme il disait. Mais là, j'avais dit non, et il ne m'avait pas vraiment écoutée, et alors, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je crois que c'est quand je l'ai entendu dire « - Ah ! Je sais que tu aimes ça petite cochonne ! », qu'avant d'être complètement submergée par la nausée j'ai englouti son sexe et que j'ai mordu dedans. A pleines dents. Jusqu'au goût du sang.
Il a hurlé, m'a repoussée, s'est penché pour contempler sa misère. Tout est allé très vite. J'ai attrapé les ciseaux dans la boîte à couture et je les ai plantés dans sa nuque à lui, avec au moins autant de vigueur que quand il saisissait la mienne pour mieux me besogner.
Il est tombé en avant. Il ne m'a pas fallu longtemps pour constater qu'il était mort.
Je suis allée à la cuisine chercher deux sacs poubelles et le rouleau de scotch.
***
Dans la maison presque vide je me sens enfin chez moi. J'ai décollé l'immonde papier peint qui représentait des roses kaki grosses comme des choux dans le couloir, et une ribambelle de petits moulins orange et marron dans la cuisine. J'ai tout repeint en blanc et lin. La lumière est douce maintenant, tout paraît plus clair et plus grand.
Comme ça, s'il revient et qu'il trouve tout changé, peut-être comprendra-t-il ce que j'ai attendu toutes ces années : de la clarté, de la douceur et de la tendresse. Si ce nouveau décor ne lui plaît pas, ce ne sera pas grave, nous pourrons en parler. Oui, c'est ça, nous devrions nous parler. Nous ne l'avons jamais vraiment fait.
Je n'avais personne à qui parler.
Alors quand il reviendra, nous déciderons ensemble comment aménager la maison. J'espère qu'il n'aura pas envie de changer le lit quand même, j'y tiens. Mais justement, ce sera l'occasion de le lui dire .
Ce sera à propos du lit.
En parlant du lit, je crois que je pourrai lui expliquer qu'il ne faut plus me forcer jamais. A rien. S'il m'écoute, alors je trouverais la force de continuer, d'avouer que non je n'aime ni ce qu'il me fait, ni comment il le fait. Qu'il s'est mépris tout ce temps, et moi aussi finalement, puisque je ne savais pas qu'on pouvait s'y prendre autrement.
C'est que justement, l'autre jour, à la bibliothèque, j'ai emprunté un livre sur la sexualité des femmes. Je suis tombée dessus un peu par hasard. Non, en fait j'ai cherché et même assez longtemps, parce que je n'avais pas osé demander à la bibliothécaire de m'aider. J'ai quand même été très étonnée de constater qu'il en existait des tas sur le sujet. J'en ai feuilleté quelques uns. Finalement j'ai emprunté celui-là parce que les illustrations étaient belles, pas du tout vulgaires ou trop anatomiques. Je me suis dit que nous pourrions le lire ensemble, quand il sera revenu. Mais comme il n'a pas réapparu, ce livre, je l'ai lu seule et puis j'ai été obligé de le rendre, parce que la bibliothèque récupérait tout son fonds pour l'inventaire du grand déménagement. Je me souviens avoir rassemblé les bandes dessinées, les disques et romans pour les fourrer dans un grand sac et....
Je crois que je perds la tête.
Je n'ai personne à qui parler.


Il faut que je sorte, que je vois du monde, j'étouffe ici. Je vais aller voir cette nouvelle médiathèque. Il paraît que c'est un havre de paix, calme et gai à la fois. Je l'ai lu dans le journal.
En revenant je passerai à la gendarmerie, ils auront peut-être des nouvelles.
***
Ils sont là, assis dans le cabinet de lecture. Elle d'un côté de la table, et lui de l'autre. Quand elle est entrée, il n'a pas levé le nez de son livre et elle ne l'a pas vraiment remarqué. Elle avait un gros paquets d'ouvrages sous le bras, des carnets de voyage, qu'elle a commencé à lire lentement, en savourant chaque photo, chaque carte, chaque croquis. De temps en temps elle revient au texte pour quelques lignes, puis elle ferme les yeux et se repasse le film.
Quand il sera revenu, après avoir réaménagé la maison ils pourront peut-être s'offrir un joli voyage, pour voir ces images en vrai ?
Elle n'a jamais vraiment voyagé. Une fois quand elle était petite, elle est allée au Mont St Michel avec son école. Une visite au pas de course, entre deux très longs trajets en car, concentrée dans ses souvenirs, sur les innombrables boutiques de … souvenirs, visitées une à une par ses camarades, et devant la porte desquelles elle restait plantée, désœuvrée, faute d'argent à dépenser. Mais elle a gardé l'image flamboyante du soleil se noyant dans la mer, tout au fond, derrière l'immense étendue sablonneuse. Aujourd'hui encore, quand elle entend le mot « voyage » c'est le premier flash qui lui vient à l'esprit, la silhouette du Mont découpée sur la soie précieuse et mordorée du couchant.
Elle caresse du plat de la main les vagues de sable dans le désert, et dans le mouvement qu'elle fait pour explorer ce monde inconnu, rencontre de son pied celui de l'homme en face.
D'ordinaire, le contact involontaire d'un inconnu entraîne presque par réflexe un brusque et salvateur geste de retrait. Mais là, elle ne sait pas pourquoi, elle ne bouge pas.
Lui non plus.
Ils restent comme ça, un long moment, sans se regarder, avec juste ce point de contact entre eux, ténu et puissant. C'est juste à l'instant où elle sent monter comme une chaleur diffuse de ce point, qu'il bouge imperceptiblement et que la jambe de l'un vient épouser parfaitement celle de l'autre. Et puis tout s'enchaîne, doucement, inexorablement. Leurs cuisses sont à peine en contact que déjà ils s'emmêlent, se serrent l'une contre l'autre et c'est comme si leurs corps entiers se caressaient.
Pourtant rien n'a bougé au-dessus de la table. Si un visiteur entrait maintenant il ne remarquerait rien du feu qui les consume. Les deux bustes sont restés penchés, chacun au-dessus de sa lecture.
Elle est dans la sensation de ce désir brûlant, et en même temps hors de son corps, comme si elle se voyait sans que ce soit elle, mais elle ne peut pas lutter contre cette attraction. Jusqu'à ce que la main de l'homme, une main chaude, sèche et un peu rugueuse, se pose sur la sienne qui quitte alors le désert comme pour s'abriter dans ce refuge.
C'est ce contact nouveau qui lui fait rependre ses esprits. Elle le regarde du coin de l'œil, lui trouve un air vaguement familier, prend brusquement conscience de la situation, retire sa main, se lève, et s'en va.
Quand même, au moment de sortir, c'est plus fort qu'elle, elle se retourne. Il soutient son regard, ne baisse pas les yeux. Il lui fait même un tout petit signe de tête. Comme ça, avec un air penché.
***
C'est drôle, même à deux le lit reste immense. Ils s'y sont noyés toute la nuit, leur souffle emmêlé. Et maintenant apaisée, dans un demi-sommeil, elle sait qu'elle n'aura plus jamais besoin d'éviter le contact. Elle le cherche au contraire et se blottit contre lui, un bras sur sa poitrine d'homme confortable et accueillante. Elle sent son odeur, et c'est agréable. Agréable et rassurant.
Quand il s'était levé dans le cabinet de lecture, elle l'avait regardé venir, sans crainte, encore dans le désir qui faisait comme un halo autour des battements de son cœur. Il avait pris sa main entre les siennes, en la regardant toujours et en l'effleurant gentiment. Elle avait compris que c'était une question et comme elle avait laissé ses doigts au creux de ses paumes, il avait compris à son tour qu'elle était d'accord.

Ils avaient descendu ensemble l'escalier de bois sous la verrière. Elle se sentait légère, et même quand ils se furent arrêtés devant le grand pilier du hall elle n'avait pas eu peur. Ils étaient là, côte à côte, main dans la main, silencieux. Et dans ce silence il y avait tout : le lit, la folie, la vérité, la réalité.
Ils étaient restés silencieux tout le long du chemin.
Quand il l'avait déshabillée, elle s'était senti vierge, mais pas nue. C'était la première fois qu'elle s'exposait à la lumière, sans crainte, devant un homme qui la regardait. Il l'avait touchée du bout des doigts, délicatement, puis passionnément, avec une sorte de ferveur qui les emporta dans une dimension hors de l'espace et du temps, où le plaisir vint sans réticence, en contrepoint de tout cet amour. Dans cette intimité absolue, ils partagèrent tout, leur passé, leurs douleurs et leur terrible secret, qui, jusque là n'avait pas trouvé de mot pour se dire.
C'est ainsi qu'en une seule nuit elle connu le désir, le plaisir, la sincérité et la confiance.
Et parce qu'elle avait été touchée, parce qu'elle se sentait aimée, elle bascula du bon côté.
Elle était en sécurité, il lui suffit de se laisser glisser.



Ben oui, on peut faire des bêtises sans être punie ...
Les photos, réelles ou virtuelles, sont celles de la nouvelle médiathèque de Guéret, prises là :

http://mediathequegueret.wordpress.com/

Aucun commentaire: